En En Guyane française, la puissante devise et/ou la protection sociale garantie par l’État français – toutes deux synonymes d’une sécurité matérielle garantie – exercent un pouvoir d’attraction évident sur les populations voisines du continent.
De nombreux Brésiliens, Péruviens, Surinamais, Haïtiens et bien d’autres…débarquent quotidiennement dans le département français avec la ferme intention d’obtenir un travail rémunéré avec la monnaie tant convoitée, puis un jour peut-être le rêve de pouvoir régulariser leur situation.
Le critère de « rentabilité », - nouveau prophète des temps modernes – rencontre facilement sa terre promise sur le sol guyanais.
« Imagine la différence mon gars ! », lance une prostituée dominicaine qui travaille à Maripasoula[1] Ici, sur les garimpos[2] je peux gagner jusqu’à 200 euros par jour. Avec deux jours de travail ici, je peux nourrir ma famille pour un mois, là-bas ».
Dans le domaine du bâtiment, la différence aussi est significative. Un travailleur qualifié et sans papiers peut gagner jusqu’à 2000 euros par mois. Dans la forêt, éloignés de tout, y compris des contrôles fiscaux, 80% des travailleurs sont étrangers et 75% sont en situation irrégulière[3]. Les raisons ?
Étrangers parce que la main d’oeuvre, en général, est rare sur ces sites isolés, générant une offre suffisamment attractive pour les populations voisines.
Illégale parce qu’il est plus rentable pour les employeurs de recourir à ce type de main d’oeuvre dont les droits ne sont pas respectés donc sans possibilité de réclamation ou de recours en justice.
Conséquences et paradoxe : cette population que l’État français prétend expulser, l’accablant de tous les maux de la société, est en train de construire, là-bas dans la Guyane profonde, les écoles, les centres de santé, les maisons, etc….
Néanmoins, il est nécessaire de préciser que tous les étrangers ne se retrouvent pas dans la même situation. Dans pratiquement tous les secteurs publics, chaque année il faut recourir à l’importation de ressources humaines. Nous pouvons citer comme exemple le cas de Cuba, qui a été un des pays choisi au moment de signer des accords pour l’arrivée de centaines de médecins en provenance de l’île.
La Guyane, comme de nombreux pays premier-mondiste, n’est pas autosuffisante et ne peut pas assurer ses propres ressources humaines, ces dernières indispensables au fonctionnement d’un État.
Induite par la règle de l’offre et de la demande, la vague d’immigration ne se contient pas et ne diminue pas. Toutes activités, légale ou illégale, « honnête » ou « malhonnête » deviennent économiquement plus rentables, par une vague sans fin d’immigrants lassés de vivre au jour le jour dans leur pays d’origine.
« Voler un portefeuille qui contient des euros est généralement plus intéressant qu’en voler une qui contient des Reais », nous explique logiquement Ricardo, un jeune brésilien qui travaille en portant des sacs sur le marché de Cayenne. Le business, inclut évidemment la vente de drogue, ou toute autre affaire qui s’offre par ici. Pas de surprise alors de découvrir les statistiques relatives aux activités illégales, de même que la violence générée par ces méfaits, qui est particulièrement élevée si on compare à d’autres régions latino-américaine ayant un indice de peuplement similaire.
Mais les mésaventures de l’euro en Guyane française ne sont pas finies : asphyxiés d’un côté par l’incessante augmentation de la population et pénalisés de l’autre par l’inefficacité ou la langueur de certains fonctionnaires, la Guyane se voit débordée dans presque tous les domaines. Ainsi, l’État se voit confronté a des difficultés quantitatives et qualitatives inédites sur beaucoup d’aspects par rapport à d’autres pays européens. Par exemple garantir la santé, le logement ou l’éducation dans les sites isolés, dont certains ne sont accessibles qu’après deux jours de navigation fluviale ou seulement par hélicoptère. En conséquence, au moment de réaliser une construction, même minime, le coût du transport, des personnes et du matériel, s’élève à des prix exorbitants.
L’asphyxie de l’État est sans fin. La question de la santé est l’une des plus grandes migraines des fonctionnaires français. Dans les centres de santé situés dans les zones frontalières, les problèmes sont quotidiens. Un interminable afflux de femmes, sur le point de d’accoucher, traverse clandestinement la frontière pour profiter des attentions socio-médicales guyanaises, pour assurer le futur de leur enfant puis, à long terme, pour accéder à la citoyenneté européenne tant souhaitée.
« Fo pampila, (pour les papiers) » explique une jeune mère originaire du Surinam.
Ce phénomène migratoire - ajouté au fait que traditionnellement les familles d’origines africaine et amérindienne sont généralement assez nombreuses - font de la Guyane française une des régions ayant le taux de natalité le plus élevé d’Amérique latine.
« Nous n’arrêtons pas une minute de construire » répètent quotidiennement les ingénieurs des différents services de l’État.
Face à cet échec migratoire, le travail de quelques policiers et gendarmes aux postes frontières, est qualifié d’inefficace et de ridicule par la majorité de la population.
« Il nous est impossible de contrôler l’immigration clandestine. Les gens peuvent traverser les fleuves qui délimitent la frontière à tout moment et par tous les côtés. Le travail de reconduction sert seulement à produire des statistiques. Parfois, par ici tu reconduis la même personne trois fois dans la même journée », constate un gendarme de la Préfecture.
Influencées par l’obsession sécuritaire qui est au centre d’un débat planétaire, personne ne sera surpris d’entendre les voix qui préconisent la militarisation de la région et qui obtiennent un consensus ces dernières années.
De même, pour les groupes qui réclament le renforcement de tous les mécanismes de lutte contre l’illégalité commerciale et évidemment, humaine.
Il faut tout de même reconnaître que pour l’État français, la problématique qui entoure le contrôle de l’immigration, est fondamentale à l’heure d’administrer et de développer la région.
De nombreuses analyses soutiennent que plus l’investissement est important, plus grande est la vague migratoire et, par conséquent, plus coûteux pour l’État français, déjà très inquiété ces dernières années par son manque de « rentabilité » (une nouvelle fonction des États au XXIe siècle).
En Guyane française, justement sont mis en évidence les dangereuses conséquences des dérives de l’assistanat d’un État de Bien-être. Le système social français octroie différents droits à ces citoyens qui, dans les pays latino-américains, pourraient être qualifiés de révolutionnaires, voire utopiques. Par exemple, certaines subventions étatiques permettent à un citoyen de bien vivre sans travailler. Mais…comme tout palliatif, il se produit des dépendances qui en réduisent l’efficacité.
Le gouvernement guyanais peut attester de plusieurs conséquences de ce couteau à double tranchant. Par exemple, le taux du chômage, relativement haut[8] en particulier dans les régions moins urbanisées. L’entretien avec un jeune chômeur cayennais nous éclaire sur de nombreux aspects :
-Pourquoi est-ce j’irai là-bas (en forêt), s’il n’y a rien ? Je pourrai même y attraper une maladie tropicale. Avec ce que me donne l’État, je tiens pour vivre jusqu’à ce que je trouve quelque chose qui me plaise dans la capitale.
-Ca fait combien de temps que tu es sans emploi ?
-Six ans.
« Rentabiliser la Guyane », relève essentiellement d’un défi socioéconomique. Surtout si l’on prétend la protéger de ce double assistanat chronique dont le département souffre. Double parce que, d’un côté, c’est une espèce de fils sot que la France entretient, et de l’autre côté, un assistanat[9] qui favorise la reproduction d’un citoyen de type zombi, habitué a attendre que les choses arrivent, sans aucune motivation qui lui permettrait de développer ses capacités de production et intellectuelles.
Le problème guyanais, évidemment, ne relève pas seulement de questions structurelles, mais aussi de certains principes éthiques propres à une vraie démocratie. Par ailleurs, le défi du département n’est pas d’arriver un jour à pouvoir se payer ses propres vices, mais plutôt, de pouvoir inventer et financer son propre traitement.
Les chances de concrétiser ce projet dépendent en grande partie de la collaboration et du travail conjoint des différents groupes qui constituent le corps social guyanais. Son succès sera sans doute l’opportunité de montrer à ses voisins latino-américains qu’une démocratie sociale et politique dans la mesure du possible, ne se mendie pas, mais elle se construit.
Il se peut que, si nous les pensons bien, les urgences de la Guyane ne soient pas plus graves que celles du continent sud-américain, puisque dans les deux cas il s’agit de soigner la misère humaine.
[3] CHARRIER, R., Guyane, des peuples et des histoires, in Antiane Eco, n°54, octobre 2002, pp. 14
À la Mairie de Maripasoula, par exemple, l’installation de toilettes et une douche pour un enseignant, en pays amérindien, a été facturée 18 000 euros.
Dépassée uniquement par Haïti, la Guyane française occupe la première place sur le continent : Haïti (4,7); Guyane française (3,4); République Dominicaine (3,1); Surinam (3), Venezuela (2,9). Source : INED 2001.
« (…) Le travail illégal ne se nourrit pas seulement de l'immigration clandestine, même si les étrangers constituaient, en 1997, 60 % des salariés illégalement employés selon la verbalisation opérée par les services de contrôle. Le Revenu Minimum d’Insertion joue aussi un rôle, bien que son impact soit difficile à évaluer. Cependant, il est loin d’être négligeable, comme le montrent, par exemple, les statistiques de sortie de l’Agence Nationale Pour l’Emploi. De mai 1998 à mai 1999, 66 % des personnes sorties de l’ANPE l’ont été pour « absence au contrôle » -ce qui laisse penser qu'ils exerçaient parallèlement une autre activité- et 8 % seulement pour « reprise d'emploi » (HIDAIR, 2005).